
Microsoft cofinance le développement de ChatGPT, mais voit cet outil concurrencer son propre produit sur le terrain
Microsoft, pourtant co-investisseur stratégique d’OpenAI et promoteur infatigable de l’IA dans la suite Office, fait aujourd’hui face à une situation paradoxale : les entreprises rechignent à adopter sa solution Copilot, tandis que les salariés eux-mêmes se tournent spontanément vers ChatGPT, perçu comme plus simple, plus accessible, voire plus puissant.
Alors que Microsoft mise massivement sur son assistant Copilot (intégré à Word, Excel, Outlook ou Teams) pour faire entrer l’IA dans les flux de travail professionnels, la réalité du terrain est plus contrastée : les décideurs informatiques hésitent à payer le prix fort, et les utilisateurs contournent l’outil pour utiliser directement ChatGPT.
Contexte
Microsoft utilise les modèles d'OpenAI pour alimenter Copilot, et offre des fonctionnalités très similaires à ChatGPT, avec des résumés d'informations, la rédaction d'e-mails, l'analyse de données et la génération d'images. Cela étant dit, la dynamique de ChatGPT et sa base d'utilisateurs existante semblent donner l'avantage au chatbot.
En juin 2025, ChatGPT comptait près de 800 millions d'utilisateurs actifs hebdomadaires et 3 millions d'utilisateurs professionnels payants, tandis que Copilot stagnait quelque peu, avec 20 millions d'utilisateurs hebdomadaires au cours de l'année écoulée.
En théorie, la course devrait être un peu plus équilibrée, puisque Windows est un système d'exploitation dominant dans le monde professionnel. Les vendeurs de Microsoft ont toujours pu utiliser la compatibilité avec Windows comme argument de vente efficace, mais ce n'est plus le cas, selon le rapport.
Une adoption institutionnelle poussive malgré un écosystème intégré
L’ambition de Microsoft était claire : créer un assistant IA professionnel hautement intégré, sécurisé, et capable de s’aligner sur les données internes de chaque organisation. Pour cela, Copilot s’appuie sur Azure et la technologie OpenAI (GPT-4), mais dans un cadre fermé, avec des garanties de conformité et de confidentialité propres aux grandes entreprises.
Mais cette promesse ne convainc pas toujours. Selon les témoignages recueillis par Bloomberg, de nombreuses entreprises hésitent à adopter Copilot, principalement pour des raisons de coût, de complexité d’implémentation, et de retour sur investissement encore incertain. À environ 30 euros par utilisateur et par mois, la facture grimpe vite pour les grandes structures. Certaines entreprises ont même activé Copilot, mais ont dû le désactiver en partie, faute d'usage réel par les employés.
Le quotidien évoque le cas d'une entreprise :
Au printemps dernier, le fabricant de médicaments Amgen Inc. a annoncé son intention d'acheter l'assistant d'intelligence artificielle Copilot de Microsoft Corp. pour 20 000 employés. Il s'agissait d'un soutien opportun au pari de plusieurs milliards de dollars de l'éditeur de logiciels sur l'intelligence artificielle générative, et Microsoft a vanté les mérites de son nouveau client Copilot dans trois études de cas distinctes.
Treize mois plus tard, les employés d'Amgen utilisent un produit concurrent : ChatGPT d'OpenAI.
Amgen a étendu son utilisation de ChatGPT au début de l'année après avoir constaté l'amélioration de la technologie et entendu les employés dire qu'elle les aidait dans des tâches telles que la recherche et le résumé de documents scientifiques.
« OpenAI a fait un travail remarquable pour rendre son produit agréable à utiliser », a déclaré le premier vice-président Sean Bruich. Copilot reste un « outil assez important », a-t-il ajouté, mais davantage pour une utilisation avec des produits Microsoft tels qu'Outlook ou Teams.
ChatGPT, le favori inattendu des salariés
De manière surprenante, ChatGPT s’impose comme l’alternative préférée des utilisateurs, en particulier dans sa version Plus (20 dollars/mois) incluant GPT-4o. Plus flexible, plus rapide à tester, utilisable depuis un simple navigateur sans intégration complexe, ChatGPT semble correspondre davantage aux habitudes spontanées des professionnels curieux de l’IA.
Beaucoup de salariés l’utilisent de manière autonome pour résumer des documents, générer du code, créer des présentations ou formuler des e-mails. En comparaison, Copilot reste souvent perçu comme lourd, trop institutionnalisé, voire bridé dans ses usages.
L’ironie est palpable : Microsoft cofinance le développement de ChatGPT, mais voit cet outil concurrencer son propre produit sur le terrain. Une cannibalisation douce, accentuée par la popularité croissante des usages « bring your own AI » en entreprise.
Selon le rapport, l'avantage d'OpenAI viendrait probablement de là (l'emphase est notre) :
« Les commerciaux de l'entreprise [Microsoft] savaient que ChatGPT dominait le marché des chatbots grand public, mais ils s'attendaient à ce que Microsoft détienne le marché des assistants d'IA pour les entreprises grâce à des relations de plusieurs décennies avec les services informatiques des entreprises. Mais lorsque Microsoft a commencé à vendre Copilot aux entreprises, de nombreux employés de bureau avaient déjà essayé ChatGPT à la maison, ce qui a donné au chatbot un avantage de premier ordre ».
Le dilemme Microsoft : partenaire ou rival d’OpenAI ?
En arrière-plan, une tension stratégique se dessine : Microsoft est à la fois partenaire, investisseur et distributeur d’OpenAI, mais également concurrent sur le front des produits. ChatGPT, qui était à l’origine un outil expérimental grand public, est désormais en passe de devenir une véritable plateforme professionnelle, avec ses plugins, sa mémoire contextuelle et ses fonctions avancées.
Microsoft semble alors pris au piège d’un partenariat ambigu. Il bénéficie des avancées d’OpenAI, mais voit en même temps cette dernière capter directement une partie du marché entreprise que lui-même cherche à dominer avec Copilot.
La position d'OpenAI sur le marché des entreprises donne des sueurs froides à son partenaire et principal investisseur. Les commerciaux de Microsoft se disent pris au dépourvu à un moment où ils sont sous pression pour mettre Copilot entre les mains du plus grand nombre de clients possible.
Cette lutte acharnée en coulisses complique les relations déjà tendues entre Microsoft et OpenAI.
Depuis qu'elle a investi près de 14 milliards de dollars dans OpenAI, Microsoft a soutenu des startups d'IA concurrentes, a commencé à construire ses propres modèles d'IA et rechigne à approuver le plan de restructuration de son partenaire. OpenAI a conclu des accords avec des partenaires rivaux dans le domaine du cloud computing et a passé la majeure partie des deux dernières années à mettre au point une série de produits d'abonnement payants pour les entreprises, les écoles et les particuliers. La startup a récemment accepté d'acquérir l'assistant de codage IA Windsurf, qui est en concurrence avec GitHub Copilot de Microsoft. OpenAI aurait été en discussion pour acheter Anysphere, la société éditrice de l'assistant d'IA de codage Cursor, avant d'entamer des pourparlers avec la société rivale Windsurf.
Il n'est pas certain que l'élan d'OpenAI auprès des entreprises se poursuive, mais la société a récemment déclaré qu'elle comptait 3 millions d'utilisateurs professionnels payants, soit un bond de 50 % par rapport à quelques mois plus tôt. Un porte-parole de Microsoft a déclaré que Copilot était utilisé par 70 % des entreprises du Fortune 500 et que les utilisateurs payants avaient triplé par rapport à la même période l'année dernière.
Jason Wong, analyste chez Gartner, a déclaré que de nombreuses entreprises testent encore Copilot avec relativement peu d'employés, ce qui laisse une marge de manœuvre aux différents fournisseurs de logiciels pour gagner des clients. Mais pour l'instant, a-t-il dit, c'est « une sorte d'épreuve de force » entre OpenAI et Microsoft.
Quel avenir pour Copilot dans ce contexte ?
L’avenir de Copilot n’est pas encore scellé. Microsoft travaille à simplifier l’expérience utilisateur, à mieux former les employés à l’IA et à renforcer la personnalisation métier. Mais la partie est loin d’être gagnée. Face à un ChatGPT de plus en plus agile, séduisant et directement adopté par les utilisateurs, Microsoft devra soit repenser sa stratégie Copilot, soit accepter de devenir un fournisseur d’infrastructure invisible, pendant qu’OpenAI rafle l’adhésion des utilisateurs finaux.
Malgré des négociations avec des entreprises telles que Volkswagen, Accenture et Barclays, qui ont toutes signé des contrats pour plus de 100 000 comptes dans le cadre d'accords d'une valeur de « dizaines de millions » par an, Microsoft est toujours en retard sur OpenAI en ce qui concerne sa base d'utilisateurs, et les organisations doivent encourager les travailleurs à utiliser le chatbot.
Cette nouvelle intervient après que Microsoft a annoncé des licenciements à grande échelle : entre 6 000 et 7 000 emplois devraient être supprimés dans le monde, soit près de 3 % des effectifs de l'entreprise, deux ans seulement après le licenciement de 10 000 personnes (5 % de la main-d'œuvre).
Microsoft utilise trop souvent le terme « Copilot », selon un organisme de surveillance
Fin 2024, Microsoft était revenu à la charge avec son assistant d'IA Copilot, mais a déclenché une vague de polémiques. Microsoft a ajouté Copilot à sa suite de productivité Microsoft 365 en Australie et dans plusieurs pays d'Asie du Sud-Est. Microsoft 365 est son service d'abonnement pour des logiciels tels que Word, Excel et PowerPoint. Parallèlement à l'intégration de Copilot, l'entreprise a augmenté les prix pour tous ceux qui utilisent Microsoft 365 dans ces pays. Les personnes qui n'utilisent pas Copilot ou qui n'ont pas envie de l'utiliser n'ont pas le choix et sont donc obligées de payer quelques dollars de plus pour continuer à avoir accès à Microsoft 365.
Cependant, la division nationale de la publicité (NAD) du Better Business Bureau a récemment critiqué Microsoft pour son utilisation abusive et confuse de la marque "Copilot" sur ses produits d'IA, recommandant à l'entreprise de modifier ses arguments publicitaires et de clarifier les différences de fonctionnalités entre ses produits. Microsoft a contesté ces conclusions, mais affirme qu'elle se conformera aux recommandations de l'organisme de surveillance.
La NAD a examiné la publicité de Microsoft pour Copilot et a constaté que "l'utilisation universelle de la description du produit comme « Copilot » » par l'entreprise crée une confusion chez les consommateurs, car ceux-ci « ne comprennent pas nécessairement la différence » entre les différents outils d'IA portant le même nom." L'organisme de surveillance a notamment critiqué l'affirmation de Microsoft selon laquelle Copilot fonctionne "de manière transparente sur toutes vos données", soulignant que Business Chat nécessite un copier-coller manuel pour offrir les mêmes fonctionnalités que Copilot dans les applications Office individuelles.
La NAD a également contesté les statistiques de Microsoft en matière de productivité, recommandant à l'entreprise de cesser ou de modifier ses affirmations selon lesquelles "67 %, 70 % et 75 % des utilisateurs déclarent être plus productifs" après avoir utilisé Copilot pendant de longues périodes. L'organisme de surveillance a déterminé que, bien que l'étude démontre des améliorations perçues en matière de productivité, elle ne fournit pas de preuves objectives de gains de productivité réels.
En conclusion
La difficulté de Microsoft à imposer Copilot illustre une réalité fondamentale de l’ère de l’IA générative : les outils qui gagnent sont ceux qui conquièrent d’abord les utilisateurs, et pas seulement les DSI. Dans cette bataille, ChatGPT incarne une IA familière, directe, intuitive, tandis que Copilot se débat dans les sables mouvants des décisions institutionnelles. Une leçon que même un géant comme Microsoft ne peut ignorer.
Source : rapport
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